Accompagner les habitants du quartier dans leurs démarches administratives, développer leur autonomie et mener un travail de prévention et de sensibilisation : c’est la mission des écrivains publics du Centre Social Alma
L’enquête statistique conduite par le Défenseur des Droits en 2016 intitulée « Enquête sur l’Accès aux droits. Relations des usagères et usagers avec les services publics : le risque du non-recours » a permis d’établir un nouveau portrait des inégalités vécues en France quant à la question de l’accès aux droits. A ce sujet, les chiffres sont probants : 1 personne sur 5 déclare éprouver des difficultés à accomplir des démarches administratives. Parmi elles, les plus précaires sont aussi les plus touchées. Dans ce contexte, la dématérialisation des services publics a renforcé les inégalités. Pour éviter les situations de non recours et contribuer à rendre accessibles les dispositifs de solidarité nationale, deux écrivains publics interviennent au Centre Social Alma et accompagnent chaque jour les habitants du quartier dans leurs démarches administratives. Lumière sur un métier peu connu du grand public mais dont l’action est essentielle au respect des droits et la lutte contre l’exclusion.
Permettre aux habitants de l’Alma de jouir pleinement de leurs droits
Apprendre à connaître ses droits, utiliser les outils numériques, remplir des formulaires administratifs … autant de démarches qui peuvent sembler anodines et quotidiennes mais qui représentent un véritable obstacle à l’accès aux droits pour des personnes qui ont des difficultés de lecture, d’écriture en langue française ou souffrent de la fracture numérique. Pour les soutenir et leur permettre de dépasser ces obstacles, les écrivains publics du Centre Social Alma accompagnent chaque jour de nombreux habitants du quartier dans l’ensemble de ces démarches.
Ecrivain public : une implantation de longue date à l’Alma
Dans le quartier de l’Alma, la présence des écrivains publics est une histoire de longue date qui nous est racontée par l’une des deux écrivains publics :
« J’ai commencé à être écrivain public dans les années 86 – 87, quand l’activité a débuté. A ce moment-là, j’habitais déjà l’Alma. Au départ, on s’est rendu compte que les habitants avaient des problèmes à régler des factures d’électricité. C’est comme ça qu’ont été créées les assistances administratives, en lien avec le Centre Social et à l’initiative d’une habitante de quartier qui était très investie. Au bout de quelques années, on a bien vu que le besoin était réel et on a voulu étendre l’initiative. C’est comme ça qu’a été mise en place la formation d’écrivain public à Roubaix, pour pouvoir formaliser et étendre cette action.» Le cœur de mission des écrivains publics demeure inchangé depuis : accompagner les habitants de l’Alma qui présentent des difficultés de lecture et d’écriture en langue française, apporter un soutien tout particulier en ce qui concerne les démarches administratives. Derrière cette action, une valeur défendue par les écrivains publics et partagée par l’ensemble des professionnels du Travail Social : permettre à chacun, quels que soient son parcours et sa situation de vie, de jouir pleinement de ses droits de citoyens.
Des démarches administratives indispensables de la vie quotidienne
La seconde intervenante – écrivain public – identifie les démarches administratives les plus courantes pour lesquelles elle accompagne les habitants : « On accueille les habitants du quartier et on les accompagne sur des démarches très diverses. Celles qui sont les plus récurrentes, ce sont souvent le renouvellement des titres de séjour ou des dossiers de CMU, l’actualisation des droits auprès de la CAF, les dossiers à constituer pour les demandes de logement, les déclarations d’impôts … » Il s’agit donc principalement de démarches administratives courantes mais qui correspondent toujours à des droits fondamentaux et grâce auxquelles les usagers peuvent prétendre à une vie digne. C’est sans doute ce pourquoi les écrivains publics jouissent d’une bonne image auprès des usagers : « Ecrivain public, c’est un métier qui est reconnu par les habitants. Evidemment, on les accompagne pour trouver des solutions pratiques. C’est assez valorisant. Même les jeunes ont beaucoup de respect pour nous.»
Une expertise nourrie par une veille permanente
Si l’écrivain public n’est pas identifié comme un travailleur social à proprement parler, il dispose toutefois d’une véritable expertise dans le domaine administratif acquise par l’expérience et nourrie par leur travail de veille permanente. La coordinatrice du pôle Adultes et Familles du Centre Social Alma nous explique : « Les deux écrivains publics qui interviennent au Centre Social connaissent vraiment les dispositifs de l’administration publique. Elles ont acquis une telle connaissance dans le domaine qu’on peut les qualifier d’expertes. C’est ce qui leur permet de rendre accessible cette culture de la démarche administrative, démystifier le flou et les craintes que cela peut susciter mais aussi aller toujours plus loin dans la recherche des réponses. Grâce à leur pratique et leurs années d’expérience, elles ont aussi développé un réseau partenarial assez étendu qui leur permet d’avoir des personnes référentes dans toutes les administrations vers qui se tourner et sur lesquelles s’appuyer quand les personnes rencontrent des difficultés. » Avec les changements de lois, l’évolution des dispositifs de droit commun et les réformes des démarches à effectuer, un travail de veille et d’actualisation de leurs connaissances est absolument indispensable pour délivrer un accompagnement de qualité : « Il ne faut jamais rester sur ses acquis. Alors on regarde les actualités, on s’échange des informations, on fait des recherches sur internet : c’est vraiment nécessaire pour être au fait de ce à quoi les usagers sont confrontés et de ce qu’ils doivent faire comme démarche pour bénéficier de leurs droits. Par ailleurs, avec le temps, on a fini par être identifiés auprès des partenaires institutionnels. Ça, c’est vraiment important parce que ça nous permet d’obtenir des réponses beaucoup plus rapidement. » A terme, cette connaissance fine des différents dispositifs de droit commun est aussi ce qui leur permet de passer le relais et orienter les habitants vers d’autres interlocuteurs plus à même de répondre à leurs problématiques.
Un accompagnement vers l’autonomie
Accompagner les habitants du quartier dans l’élaboration et le suivi de leurs démarches administratives est une façon de répondre aux besoins. Toutefois, les écrivains publics n’ont pas pour vocation de « faire à la place de » mais bien de s’appuyer sur les compétences des usagers et développer leur autonomie pour leur permettre de redevenir acteur de leur parcours et rentrer en pleine possession de leurs ressources.
« Faire avec » et non pas « faire à la place de »
Un des défis auxquels les écrivains publics sont confrontés est celui de la méthodologie d’accompagnement. Il est parfois facile et même tentant de « faire » l’ensemble de ces démarches « à la place de » l’usager, ce qui représente très souvent un gain de temps considérable. Toutefois, l’objectif premier de l’action des écrivains publics comme de celui des professionnels avec lesquels elles évoluent est de développer l’insertion des personnes accompagnées dans le tissu social et par conséquent leur autonomie. (Re)donner à ces personnes les ressources pour gérer leur vie seules, développer leur pouvoir d’agir : une philosophie qui sous-tend l’action du travail social et que l’on retrouve dans le quotidien et les pratiques des écrivains publics. Selon la coordinatrice du pôle Adultes et Familles : « Les écrivains publics sont là pour accompagner et apporter des réponses aux besoins mais dans l’idéal, les usagers doivent pouvoir trouver leurs propres réponses. Elles doivent donc se servir de la relation comme d’un levier pour procéder à un travail éducatif, acquérir et diffuser du savoir et des compétences. Néanmoins, dans certains cas l’autonomie ne peut s’acquérir complètement qu’à la suite d’un travail collégial sur la « levée des freins ». Certains habitants font face à des problématiques sociales qui ne leur permettent pas d’être entièrement autonomes dans la gestion de leurs démarches administratives. Il convient dans ce cas de les accompagner dans « le faire pour ».
Montrer et apprendre à faire
Apprendre à se servir des outils numériques, mettre en place des routines administratives, apprendre à gérer un planning et anticiper des déclarations, se familiariser avec les dispositifs de droits publics : les savoirs à diffuser auprès des usagers sont très diversifiés. « On travaille beaucoup par l’exemple, la répétition. On va sur un ordi, on leur montre comment faire telle ou telle déclaration. On leur montre 1 fois, 2 fois, on les encourage pour qu’ils finissent par le faire seul. Il y a une dame que je suis ici depuis de nombreuses années. Au départ, je rédigeais les chèques à sa place. A chaque fois, je lui montrais comment faire. Aujourd’hui, elle fait ses chèques toute seule. C’est vraiment ça l’idée ! » Un travail qui paye si on en croit le témoignage d’Amel M. : « Au départ, je suis venue ici pour la garderie. On m’a parlé des écrivains et ça m’a intéressée parce que je venais d’Algérie et après ma séparation, je me suis retrouvée un peu seule : il y avait beaucoup de choses que je ne savais pas faire et que je ne connaissais pas. La personne qui a travaillé avec moi m’a appris à faire ma déclaration d’impôt, elle m’a aidée dans le suivi de mon dossier juridique pour la séparation. Elle a fait les demandes de logement avec moi. Aujourd’hui, je fais presque tout toute seule, même pour le renouvellement de mon titre de séjour. Mais je continue à venir pour faire vérifier tout ça, pour être rassurée quoi. »
Tenir compte de la réalité des usagers et adapter son accompagnement
Mais la mission des écrivains publics se heurte très souvent à la réalité des publics accompagnés, aux discriminations qui frappent les personnes les plus précaires et les éloignent de l’accès aux droits. L’une des deux intervenantes nous décrit un peu plus les profils et les obstacles rencontrés par les personnes qu’elle accompagne : « Il y a des personnes pour qui « faire seul », c’est presque impossible. La première difficulté c’est la question de la langue, que ce soit pour la lecture, la compréhension comme pour l’écriture. Quand quelqu’un parle à peine français, il ne comprend pas les courriers administratifs qu’il reçoit. Il faut les lui lire et les lui expliquer. Remplir des dossiers, écrire des courriers destinés aux administrations, pareil, ça ne peut pas se faire seul. Avec la dématérialisation des administrations et des services, le numérique c’est un vrai problème et une source de discrimination : il y a des personnes, en particulier les plus âgées, qui ne savent pas s’en servir. Il y a en a d’autres qui n’ont pas les moyens d’avoir le matériel nécessaire ou une connexion. Avant la période du Covid on a essayé de développer des ateliers collectifs sur l’écriture ou la connaissance des dispositifs. Notre prochaine ambition, c’est le numérique. Mais ça reste parfois difficile de mobiliser les personnes. Apprendre aux gens à savoir se débrouiller, c’est bien. Mais il faut aussi savoir tenir compte des réalités de chacun pour ne pas les décourager. » Selon la coordinatrice du pôle Adultes et Familles, la réponse se trouve du côté de l’adaptation et de la posture : « Viser l’autonomie complète pour chacune des personnes que l’on accompagne, ce n’est pas systématique. Ce qui compte c’est la posture, la dynamique et le mouvement : les gens entrent au Centre Social en partant d’un point A et on doit les faire cheminer vers un point B. Le point d’arrivée ne peut pas être le même pour tout le monde mais ce qui est important c’est le cheminement et l’idée qu’ils ont les ressources pour avancer et progresser. »
Une relation de confiance et de proximité
Que l’accompagnement soit sporadique ou au contraire de longue durée, un seul mot d’ordre : être à l’écoute, mettre en confiance, créer du lien.
S’appuyer sur le lien et la confiance pour travailler l’insertion
Le cœur de métier de l’écrivain public repose vraiment sur l’écoute. C’est en écoutant qu’elles parviennent à créer ce lien de proximité avec les personnes accompagnées et entrer au cœur de leur intimité. L’écoute est le premier pas vers l’insertion : il permet aux usagers de se sentir « entendus » et inclus dans un collectif qui les considère, les respecte en tant qu’individus et les soutient dans leur parcours et leurs difficultés. « Dans le quartier de l’Alma, les habitants peuvent être confrontés à une certaine forme de précarité et rencontrer des problèmes d’emploi, de logements … Parfois les gens viennent seulement pour parler. Et nous, tout ce qu’on peut faire à part orienter, c’est écouter. Mais écouter c’est bien aussi. C’est dire à l’autre qu’il est quelqu’un pour nous, que ce qu’il vit compte. Et puis écouter, entendre les histoires familiales ou de voisinage, c’est ce qui permet de prendre la température du quartier. » D’une certaine manière, l’écoute prodiguée par les écrivains publics est un premier ciment du tissu social. Elle doit toutefois se faire « à bonne distance », c’est-à-dire celle qui permet à l’écrivain public de ne pas se laisser emporter par les émotions qui peuvent le mettre à l’épreuve et parfois constituer un obstacle à l’accompagnement.
S’appuyer sur l’écoute pour trouver les réponses adaptées
Cette écoute attentive est aussi ce qui permet aux écrivains publics de procéder à une analyse plus fine des situations de vie, soulever des problématiques parfois non identifiées par les usagers eux-mêmes et y apporter des réponses appropriées, notamment en orientant vers d’autres professionnels du Centre Social Alma ou vers des partenaires extérieurs. La réponse appropriée, c’est parfois une réponse négative aux demandes des habitants, faire comprendre qu’avoir des droits ce n’est pas avoir droit à tout et que ces droits s’accompagnent de devoirs.
Se servir du lien comme d’un levier de prévention et de sensibilisation
La confiance établie entre habitants du quartier et écrivains publics est enfin ce qui permet à ces derniers de se faire entendre et de sensibiliser à un certain nombre de sujets : « Je sais tout ce qui se passe dans le quartier. Comme je connais bien les gens, je peux me permettre de dire à tel ou tel parent que j’ai vu son enfant à l’extérieur plutôt qu’à l’école. Je peux aussi en parler à mes collègues, échanger les informations pour croiser nos compétences. Si je travaille sur le paiement d’une amende, j’explique que prendre les transports en commun implique de payer les titres de transports, que c’est comme ça que ça fonctionne. » Un travail éducatif du quotidien, en somme, qui permet de progresser vers l’insertion, entretenir le lien social et parfois prévenir certains dangers. Chantal D., suivie depuis de nombreuses années au Centre Social nous explique ce que cela lui a appris : « Elle m’a vraiment appris beaucoup de choses. Une fois, par exemple, j’avais souscrit un contrat pour l’électricité : bon, elle m’a bien expliqué qu’il fallait parfois se méfier du démarchage sauvage comme ça. Elle m’a aidée à résilier ce contrat qui engageait des frais et maintenant, je suis plus méfiante, plus attentive. »