Les référentes RSA du Centre Social Alma accompagnent, au quotidien, 220 personnes allocataires du RSA pour leur permettre de lever les freins qui les éloignent de l’emploi et reprendre le chemin de l’insertion socio-professionnelle. Interview croisée de trois professionnelles pour mieux comprendre les problématiques des hommes et femmes accompagnés dans le quartier de l’Alma et les actions mises en œuvre pour parvenir à reprendre le chemin de l’emploi et de l’insertion socio-professionnelle.
Pourriez-vous nous expliquer en quoi consiste votre mission en tant que référentes RSA au Centre Social Alma ?
Morgane : Lorsqu’une personne fait une demande de RSA, elle a RDV à la Maison Départementale de l’Insertion et de l’Emploi (la MDIE) dans le mois qui suit sa demande. Elle rencontre alors un professionnel qui définira l’accompagnement dont elle a besoin pour un retour à l’emploi aussi rapide que possible. Il existe aujourd’hui 3 grands types d’accompagnement des personnes allocataires du RSA : un accompagnement social, un accompagnement socio-professionnel et un accompagnement professionnel. Au Centre Social, les référents RSA sont en charge de l’accompagnement socio-professionnel : il s’agit de permettre aux personnes accompagnées de résoudre les difficultés sociales auxquelles elles sont confrontées qui les éloignent de l’emploi et d’engager simultanément des démarches d’insertion sociale et professionnelle. Le travail que nous menons est un travail de longue haleine car les personnes que nous accompagnons au sein du Centre Social sont souvent celles qui sont le plus éloignées de l’emploi, dont les freins sont les plus nombreux et les parcours, complexes.
Fanny : Lorsque nous accompagnons des personnes orientées par le département, nous avons pour mission de les amener à engager les démarches administratives qui leur permettront d’aller vers l’emploi ou la formation. Mais on pourrait dire qu’il s’agit de l’étape finale de notre accompagnement. En réalité, le parcours est plus long et plus complexe pour les personnes qui se présentent au Centre Social : ce sont souvent des personnes qui n’ont jamais travaillé, ou plus depuis longtemps, parce qu’elles ont des parcours complexes et rencontrent des freins multiples à la réinsertion professionnelle. Le cœur de notre mission, c’est donc aussi de créer un lien de proximité avec ces personnes, leur redonner confiance, repérer et valoriser leurs compétences pour changer la représentation qu’ils ont d’eux-mêmes ou du monde de l’emploi. C’est un travail de fond
Lina : « Avant d’avoir mes enfants, je m’en sortais très bien et je ne voyais pas l’utilité d’avoir une voiture. Mais l’arrivée de mes garçons a tout changé. Aujourd’hui, j’ai un projet de formation à l’IFAP pour devenir auxiliaire puéricultrice. Il y a des stages à faire et j’ai besoin du permis. On en a parlé avec ma référente qui a suivi mon projet. Dans la première auto-école où j’ai pris des cours, on me disait que j’étais nulle, que je n’y arriverais jamais. Ma référente m’a dirigée vers une auto-école d’insertion où les moniteurs sont bienveillants. Aujourd’hui, j’ai le code. Il ne me manque plus que la conduite. »
En quoi consiste l’accompagnement que vous menez auprès des allocataires et comment s’organise-t-il ?
Fatiha : Depuis la réforme législative de 2009 qui a vu le RSA remplacer le RMI, l’accompagnement se fonde sur la notion de « droits et devoirs » du bénéficiaire du RSA. Le droit, c’est bien sûr le versement du Revenu de Solidarité Active qui traduit le droit fondamental de tous les citoyens à disposer de ressources suffisantes pour vivre. Ses devoirs sont l’obligation imposée par la loi d’engager des démarches de réinsertion sociale et/ou professionnelle. C’est dans ce cadre que nous recevons chaque allocataire à l’occasion d’un premier rendez-vous diagnostic à l’issue duquel il sera amené à signer un Contrat d’Engagement Réciproque (un CER). Nous faisons connaissance avec les personnes que nous accompagnons, nous repérons les difficultés auxquelles elles sont confrontées mais nous essayons aussi de mettre à jour les ressources dont elles disposent. On fait un premier travail de sensibilisation et d’information sur les institutions avec lesquelles on travaille et auprès desquelles ils seront amenés à faire des démarches. Et finalement, on établit un premier projet d’insertion qui sera amené à évoluer en fonction du parcours de l’allocataire.
Morgane : Globalement, on dispose de trois modalités d’action. D’une part, l’accompagnement individualisé : c’est notre accompagnement en face à face avec la personne où l’on suit son parcours et on l’oriente. C’est un moment stratégique pour cheminer ensemble vers plus d’autonomie et de prise d’initiative : l’idée c’est vraiment que les allocataires soient de plus en plus autonomes dans leurs démarches administratives, leur recherche d’emploi mais aussi et surtout qu’ils soient impliqués dans leurs démarches d’insertion et engagés dans leurs propres parcours. C’est à ça que sert le Contrat d’Engagement Réciproque mais c’est un travail qui se construit au fil du temps.
Fatiha : Ensuite, on s’appuie le plus souvent possible sur notre partenariat avec des opérateurs d’insertion de proximité tel que Pass’ Entreprises de la MIAE de Tourcoing qui travaille sur l’Insertion Professionnelle. Le Centre Social propose aussi une multitude d’actions collectives vers lesquelles nous orientons les allocataires lorsque la situation s’y prête. Il faut bien comprendre que ces ateliers sont des leviers de progression énormes. D’abord, ce sont des moments où l’on travaille sur beaucoup de savoir-faire mais aussi de savoir-être : évoluer en groupe, pratiquer la langue française couramment, respecter des consignes de sécurité, savoir être à l’heure … autant de compétences qui rapprochent un peu plus l’usager du collectif et du monde de l’emploi. Ensuite, ce sont aussi des moments où l’on est dans une relation moins formelle, où l’on peut plus vite repérer les ressources et les compétences des allocataires. Enfin, ce sont des moments précieux d’échanges d’expérience entre allocataires et professionnels.
Morgane : Enfin, nous orientons les allocataires vers l’ensemble des opérateurs d’insertion et autres partenaires extérieurs qui seront plus à même d’apporter des réponses à certaines problématiques. Il peut s’agir d’auto-écoles agréées, de centres de formation et parfois d’institutions telles que des CMP ou la MDPH lorsque la situation l’exige.
Zelikha : « La première fois, j’étais au Centre Social pour les cours de français. Ensuite, ma référente m’a amenée à la Manufacture pour faire la couture. Je faisais déjà de la couture en Algérie : j’avais un diplôme de couture et broderie. Quelqu’un a vu que je savais faire, il m’a demandé de faire la bénévole à l’école. J’ai beaucoup aimé transmettre la couture aux enfants avec l’institutrice. Après ça, j’ai fait le vestiaire et maintenant je suis très occupée dans la coopérative. J’aimerais faire une formation en couture ici en France : en Algérie on n’a pas appris les techniques des patrons. Et ensuite, je voudrais avoir un travail dans la couture. »
L’accompagnement des allocataires du RSA peut être assuré par différents opérateurs. Qu’est-ce qui fait la spécificité de l’accompagnement mené au Centre Social ?
Fanny : Il s’agit d’un travail qui dépasse le cadre technique et administratif : on ne se contente pas d’orienter, on pense accompagnement global. On prend en compte la personne dans sa globalité, y compris et surtout dans son environnement social, on cherche à comprendre ce qui, dans le parcours personnel, a pu se transformer en contraintes, voire en véritable frein. Ça reste évidemment toujours un accompagnement professionnel mais l’idée est de personnaliser l’approche autant que possible en développant la relation de confiance. C’est d’autant plus important avec des personnes qui présentent des freins multiples à l’emploi.
Le saviez-vous ? Le Centre Social Alma propose aussi un accompagnement aux démarches administratives.
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Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les allocataires qui les éloignent le plus de l’emploi ?
Fatiha : Je ne sais pas si on peut les hiérarchiser mais il est évident que l’une des premières difficultés est celle des questions de santé. Il s’agit parfois de problématiques invalidantes sur le marché de l’emploi, d’autant plus difficiles à résoudre qu’elles sont parfois installées depuis longtemps dans le parcours des hommes et femmes que nous rencontrons. Je dirais que les situations parentales et/ou familiales peuvent constituer un autre frein : il est difficile pour des mères en charge d’un enfant handicapé d’envisager laisser son enfant pour aller travailler. Derrière cela se pose le problème des représentations : il y a une représentation de l’importance d’une mère au foyer. Il faut d’abord travailler sur ces images pour faire envisager de nouvelles possibilités.
Morgane : La question de la mobilité est aussi un frein important. Heureusement, il peut être facile d’agir dessus et nous y travaillons : amener les habitants du quartier à se déplacer, leur apprendre à se servir des transports en commun, sortir de leur zone de confort, bénéficier de certains tarifs préférentiels, se tourner vers des auto-écoles d’insertion.
Fatiha : La question du logement et celle du budget sont des questions cruciales : lorsqu’on a affaire à une personne qui a des dettes ou qui vit dans un logement insalubre, trop lourd financièrement pour lui, il est absolument nécessaire d’apporter des réponses. Avant d’envisager recommencer une formation ou rechercher un emploi, on pense d’abord à « comment je vais payer mes factures, mon alimentation à la fin du mois ». On ne trouve pas d’emploi non plus si on n’a pas les moyens d’être présentable.
Fanny :Le dernier frein important, c’est sans doute celui des représentations. Si la personne manque de confiance en elle, elle ne se mettra pas dans une posture d’employabilité. Quelqu’un qui a été malmené pendant sa scolarité aura peur de reprendre une formation. Pour certaines personnes, retrouver un travail c’est vraiment un challenge qui semble difficile à relever. Il faut donc absolument travailler sur la plus-value de retrouver un travail.
Lina : « J’ai arrêté mon parcours scolaire très tôt. Je faisais un BAC PRO stylisme mais je n’aimais pas du tout. A cette époque-là je me cherchais et je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie. Je pensais qu’une fois sorti du système, on ne pouvait plus y rentrer. J’étais mal renseignée et mal conseillée. Du coup, je n’ai pas repris de formation tout de suite. Et ensuite j’ai eu mes enfants. Aujourd’hui, grâce au travail avec ma référente, reprendre une formation, ça ne me fait pas peur du tout : ça m’enthousiasme. Ce sera de nouvelles rencontres, de nouveaux visages. J’ai hâte de découvrir tous les lieux de stage et d’apprendre de nouvelles leçons de vie. »
De quelles ressources les personnes accompagnées disposent-elles pour retrouver un emploi ?
Fatiha : D’abord, il est important de rappeler que le lieu commun « allocataire = assisté » est vraiment loin de la réalité. La majorité des personnes qui se présentent au Centre Social aimeraient (re)trouver un emploi mais elles en sont empêchées : par des parcours personnels, des peurs, des difficultés quotidiennes. Quand on ne parle pas français et qu’on le comprend encore difficilement, par exemple, c’est vraiment rédhibitoire sur le marché de l’emploi et ça prend du temps de progresser sur ce point. Quand on a quitté le système scolaire très tôt et qu’on n’a obtenu aucun diplôme, pareil, c’est extrêmement limitant. Pourtant les personnes que nous accompagnons disposent de nombreuses ressources et même de savoir-faire précieux : une mère de famille nombreuse, par exemple, a souvent des compétences organisationnelles extraordinaires. Il nous faut alors trouver le moyen de les valoriser sur le marché de l’emploi et parfois amener les personnes elles-mêmes à en prendre conscience.
Fanny : Au niveau du quartier, je suis aussi frappée par l’entre-aide entre les personnes et le soutien qu’elles s’apportent mutuellement. On peut s’appuyer sur ces liens pour résoudre certaines problématiques, notamment celles liées à la mobilité.
A quel moment pouvez-vous considérer qu’un accompagnement est réussi ?
Morgane : D’un point de vue très pragmatique, on pourrait dire qu’une sortie positive est une sortie vers l’emploi évidemment. Mais
une réussite, en termes d’accompagnement, c’est avant tout une évolution. On ne va pas tous arriver au même endroit parce qu’on ne part tout simplement pas tous du même endroit mais si on avance, si on bouge ses lignes, c’est déjà bien.
Fanny : Sur ce chemin du retour vers l’emploi, il peut y avoir beaucoup d’autres réussites : prendre conscience d’une difficulté médicale et aller faire un bilan de santé, avoir résolu ses problèmes de logement, s’investir dans son logement et se l’approprier, prendre conscience d’une addiction et la soigner, apprendre à laisser son enfant à la cantine ou la garderie. Tout cela, c’est un ensemble de petites victoires qui, mises bout à bout, permettent de redonner confiance à la personne.
Fatiha : Ma plus grande satisfaction c’est de voir évoluer une personne vers plus d’autonomie et d’investissement : quand on la voit se prendre en charge, initier des démarches de manière autonome, s’investir dans des activités collectives, c’est déjà un pas vers l’insertion sociale et professionnelle. Quand une personne a suffisamment changé ses représentations pour se mettre en mouvement, alors elle peut avancer. Les personnes les plus proches de l’emploi sont celles qui ont gagné en mobilité ainsi qu’en compétences organisationnelles et qui sont en capacité de résoudre individuellement des problématiques complexes. A ce moment-là, on passe la main au Conseiller en Insertion Professionnelle. Mais, ça, je crois qu’on en reparle très bientôt !
Zelikha : « Ma référente m’a poussée tout le temps, « tu sais le faire, tu es capable de le faire ». Elle m’a permis d’avoir confiance en moi et elle m’a beaucoup conseillée. Pour les masques pendant la crise : je me sentais fière, en 1 mois on a fait 2200 masques pour les personnes du quartier avec la coopérative. Faire ces activités, ça m’a permis à mieux connaître le quartier, à me déplacer en métro, faire des formations pour la cuisine, l’hygiène. Je voudrais encore faire des progrès dans la maîtrise de la langue, ça me donnera plus confiance : j’ai envie de progresser en français pour échanger même avec gens que je ne connais pas. »
RDV dans quelques jours pour en savoir plus sur l’Insertion Professionnelle au sein du Centre Social Alma